Chasse au trésor (Ayame)

Il ne peut pas l'avoir perdu, c'est impossible... Il est trop important. Il ne peut pas perdre cette émotion, ce souvenir. C'est un des rares qui le fait se sentir bien, il en a besoin pour tenir l'année scolaire le temps d'en accumuler d'autres. Mais il ne le trouve nulle part. Il a déjà fait le tour de toutes ses salles de classe et rien, aucune trace, même dans sa chambre...

Il en est venu à chercher dans des endroits improbables. Au plafond, dans les couloirs, dans les chambres des autres quand il a réussi à trouver le moyen d'y entrer - c'est à dire plus souvent qu'il ne s'y attendait. La sécurité laisse vraiment à désirer, personne ne ferme ses portes à clé. Il ne va pas s'en plaindre, ça l'arrange. Enfin, ça l'arrangerait s'il trouvait quelque chose.

Désespéré de ne pas mettre la main sur ce qu'il cherche, il s'apprête à quitter le dortoir mais repère l'escalier menant au toit. Est-ce qu'il est déjà monté ? Oui... il se souvient d'être passé par là à un moment. Peut-être que c'est là-haut qu'il a perdu son pendentif. La chaîne a pu se casser quand il visitait la zone. Oui...

Dahlen fait demi-tour pour rejoindre l'escalier et monter dans le Jardin des cotonneuses. C'est le genre d'endroit où il ne passe pas beaucoup de temps. Quand on est habitué des souterrains, le ciel est... intimidant. Mais il est monté une fois, donc il doit vérifier si ce n'est pas ici qu'il a perdu son collier, juste au cas où.

Il n'aime pas cet endroit. Dès qu'il pose sa main inférieure sur le "sol" de nuages, il sent son estomac se serrer. S'il avait le choix, jamais il n'aurait remis les mains ici... Sauf que ce pendentif est trop important pour qu'il ne tente pas toutes les options pour le retrouver. Il déglutit. Ça ira. Il suffit de... marcher. Comme si c'était un sol normal. Pourtant, il peine à faire plus de quelques pas après avoir franchi le seuil. En fait, il bloque même complètement le passage.

» Allez... c'est pas si dur...

Il suffit d'avoir le courage de juste... marcher. Sur le ciel. Et sous le ciel. Sans avoir peur de passer à travers les nuages...
Le monde est quand même plus simple sous terre.

Il a vaguement conscience de bloquer le passage, mais sa peur du vide l'empêche de faire un seul pas sur le sol de nuage. Ironique, pour quelqu'un capable de se déplacer au plafond, d'avoir aussi peur de tomber. En vérité, ce n'est pas tomber qui lui fait peur, c'est le ciel lui-même. D'en bas aussi, quand il lève les yeux, il sent une forme d'angoisse lui nouer l'estomac. Il a l'habitude des plafonds, des murs, l'immensité de l'espace qui se dresse sous le ciel le met mal à l'aise. Les queues qu'il garde enroulées autour de sa taille s'agitent sous son pull et il se mord la lèvre.

Puis une voix, derrière lui, le fait sursauter. Il manque d'avancer sur les nuages dans un mouvement réflexe, s'arrête juste avant d'y poser la main, se retourne précipitamment. Une fille se tient derrière lui. Il ne l'a jamais vue, ou alors il ne s'en souvient pas. Il a encore du mal à différencier les gens les uns des autres, à ses yeux les gens se ressemblent tous un peu. Conséquences de vivre dans l'isolement le plus total, sans doute.

» J'ai perdu quelque chose...

Comment a-t-il fait la dernière fois qu'il est monté ? Il avait réussi à marcher sur les nuages presque sans problème, à ce moment-là. Et si vraiment c'est là qu'il a perdu son collier... ça veut dire qu'il devra... se baisser pour le ramasser. Rien que l'idée ait remonter ses angoisses. Non, il préfère encore marcher avec le poing fermé contre le "sol" plutôt que de se pencher ne serait-ce qu'un peu. Comment les gens peuvent être aussi détendus dans un endroit pareil ?

» Il y a le ciel en-dessous... et au-dessus...

Sans doute qu'elle a raison et qu'ils ne risquent rien, sinon ils n'auraient jamais ouvert cet endroit aux élèves, mais sa peur n'est pas rationnelle. C'est comme la peur du noir qu'ont certaines des personnes qu'il a rencontrées ici et qu'il ne comprendra jamais, lui qui voit aussi bien dans l'obscurité que dans la lumière. C'est quelque chose de viscéral et d'instinctif, lié à sa vie, peut-être lié à son espèce, qui sait. Un alfur hors du sol, c'est comme un poisson hors de l'eau : c'est anormal et angoissant. Il n'arrive pas plus à lever la tête qu'à la baisser.

» Mais je dois retrouver mon collier...

Il a du mal à parler. Il n'est même pas sûr d'employer les bons mots, même si c'est une phrase relativement simple.

L'idée qu'il ait pu perdre le collier lui fait peur. Les émotions positives contenues dedans sont importantes pour contrebalancer les autres, surtout celles dans sa tête qu'il ne contrôle pas. Est-ce que cette fille peut l'aider ? Il a naturellement tendance à ne faire confiance à personne. N'importe qui peut se cacher derrière un sourire, et la vie s'est bien arrangée pour le lui prouver. D'un côté, elle a l'air plus intéressée par l'idée de pouvoir lui passer devant que par celle de l'aider, donc au moins elle ne fait pas semblant d'être altruiste, c'est plutôt bon signe.

» C'est un... rubis.

Vrai ou faux, ça n'a pas d'importance, il le considère comme tel. Une pierre rouge accrochée à une chaîne, rien d'exceptionnel mais c'est un ancien bijou de sa mère et il y tient assez pour avoir pu utiliser son pouvoir afin d'y stocker un souvenir. L'essentiel, c'est que ça soit précieux.

» Non... Je suis venu avec une visite alors... je sais pas.

Il regrette énormément d'avoir foulé ce sol de nuage. Quelle idée d'ouvrir ce genre d'endroit à des élèves. Non, il est mieux à l'intérieur, entre quatre murs et, surtout, un plafond, plutôt que le ciel.

» On était plusieurs.

Quelqu'un lui aurait pris ? Mais qui ? Et pour quoi faire ? Il fronce les sourcils. Quelle question. Il a assez étudié les Ruisseaux pour savoir ce que font les voleurs quand ils prennent quelque chose : ils le revendent. Cher. Mais dans son cas, c'est encore pire. Parce que si c'était juste une pierre à vendre, ça irait. Là, si quelqu'un se retrouve à mettre la main sur son collier et qu'il le touche, il se prendra un souvenir de plein fouet. Un souvenir heureux, d'accord, mais un souvenir quand même. Ça veut dire que si ça sort de la zone, il risque d'avoir des problèmes. Et il n'a aucune envie d'avoir des problèmes.

» Dahlen.

Ça fait du bien, de pouvoir utiliser librement son prénom. Mais ça ne l'aidera pas à trouver son collier. Alors il penche la tête malgré le vertige qui lui noue l'estomac et fait un pas, en regardant le "sol" pour voir s'il ne repère par l'éclat rouge de son collier. Plus vite il le trouvera, plus vite il pourra partir d'ici et retrouver la terre.

Oui, elle a sans doute raison. C'est plus facile de retrouver une pierre précieuse qu'une simple chaîne, surtout aussiè près de lumière qui la ferait étinceler. Le problème vient du fait, justement, que Dahlen est trop proche du soleil. Comment les gens peuvent être aussi à l'aise à cetet distance du sol.

» De... quoi ?

Comment ça, de voler ? Elle peut voler ? Non, non, hors de question. Il a déjà du mal à ne pas complètement péter les plombs en se sachant aussi loin du sol, s'il ne sent plus rien sous ses paumes inférieuses en avançant, il risque de faire une syncope.

» N... Non. Non, je préfère sentir le sol.

Si on peut vraiment appeler ça du sol. Le problème, c'est surtout qu'il est obligé de regarder en bas. Et voir ses mains inférieures s'enfoncer dans les nuages contribue un peu plus chaque seconde à lui rappeler qu'il a peur du vide. Il fronce les sourcils.

» Tu peux... fabriquer du sol ?

Un sol de quelle nature ? Il n'est pas franchement sûr que ça changera quelque chose, mais s'il peut sentir une surface solide et non nuageuse sous ses pas...

» Quelle matière de sol ? Ça ne chance pas de nous empêcher de trouver ce qu'on cherche ?

Hm. Il est à peu près sûr de ne pas avoir utilisé le bon mot, cette fois, mais l'essentiel est que sa phase soit compréhensible. Si elle transforme le sol, est-ce que le rubis ne risque pas d'être piégé et introuvable ? Ou peut-être que, au contraire, ça le fera ressoritr de la masse de nuages. Ça vaut peut-être le coup d'essayer.

Un sol en cristal. Il a beau ne pas connaître grand chose à la surface, il est incollable en matière de pierres et d'autres formations minérales et il est à peu près certain que le cristal, en plus d'être transparent, est extrêmement fragile. Et elle compte faire une surface stable avec ça ? D'un côté, les nuages sont aussi censé être stables, donc c'est plus une... couche de sécurité ? Aucun des deux ne lui parait franchement rassurant. À choisir, il aurait préféré de la pierre ou n'importe quoi de plus solide. Mais si c'est ça ou perdre son rubis...

» D'accord.

Si ça vient d'un pouvoir, ça sera plus solide que si c'est du cristal naturel. Elle doit bien savoir s'en servir si elle propose de l'utiliser comme plancher. Tout va bien se passer. Il s'efforce en tout cas de s'en convaincre alors qu'elle forme un petit chemin de cristal devant eux. Leur mission est juste de trouver le rubis. Du rouge en plein soleil, ça brillait assez fort pour attirer l'attention.

» J'arrive.

Il prend une grande inspiration et s'avance sur le sol de cristal. Bon, ça paraît relativement stable. Il continue de progresser doucement sans trop s'éloigner de la jeune fille et en continuant de chercher son rubis. Il ne peut pas être perdu, il ne peut pas être loin non plus. Ce n'est pas comme s'il avait passé des heures dans ce coin de l'école.

» Là. Je crois que j'ai vu du rouge.

Il désigne une direction quelque part sur le sol de nuages, pas très loin d'eux. Il suffit de tracer un chemin pour l'atteindre. Comme ça il pourra le récupérer et quitter ce maudit jardin de nuages pour retrouver la terre ferme, la roche et tout ce qu'il était normal d'avoir comme sol.

Un soupir de soulagement s'échappe lorsque Dahlen se baisse pour ramasser le collier par terre. Il craignait de ne jamais le retrouver, mais tout se termine bien. Le rubis est là, avec le souvenir qu'il contient et qu'il a eu si peur de perdre. Il le serre au creux de son poing. La chaîne a cassé, tout simplement. Il va devoir en racheter une autre ; il ne peut pas prendre le risque de la réparer et de le perdre à nouveau.

» Oui, c'est lui.

Il est le seul à pouvoir le toucher sans risquer de réactiver le souvenir contenu dans la pierre, mais heureusement, elle n'a pas l'air de vouloir le regarder de plus près. Elle se contente de le raccompagner vers les portes, loin de ce vide sans fin. Une forme de sol ferme, enfin. Avec un petit soupir rassuré, Dahlen range le bijou dans la poche de sa veste, la seule qui ferme. Il s'occupera de le remettre en état au plus vite.

» C'est... un souvenir de ma mère.

Au sens littéral du mot "souvenir", pour le coup. Il l'a créé il y a quelques temps en y insuflant tout ce qu'il a pu de son enfance, de son temps passé avec elle, de leurs sourires et de leurs rires avant que Mahira n'entre dans leur vie. Avant que sa mère deviennent folle, à cause du pouvoir de son père. C'est tout ce qu'il lui reste de ce qu'elle était. Heureusement, sa propre mémoire n'a pas assez souffert pour que ce souvenir diparaisse avant qu'il ait le temps de le copier.

» Plusieurs souvenirs. Tout ce que j'ai pu retrouver.

Ça n'a sans doute aucun sens pour quelqu'un qui ne connaît pas son pouvoir, mais il n'a pas les mots pour l'expliquer autrement.