Elle se sentait vraiment, vraiment mal aujourd'hui. Comme tout le monde, elle avait entendu l'histoire de Diana circuler dans les couloirs et la rumeur selon laquelle celle-ci était responsable de la chape de tristesse qui s'était abattue sur l'école, mais elle n'arrivait ps à se concentrer là-dessus. Le retour de la dépression dont elle avait eu tant de mal à sortir lui nouait les entrailles ; toute son énergie allait à s'empêcher de dévaliser la cafétéria pour compenser la tristesse dans la nourriture.

Autant dire que l'arrivée d'Ayame et son programme parfait pour la détourner de ses idées noires sonna comme une libération. C'était exactement ce qu'il lui fallait : penser à autre chose, se concentrer et oublier l'envie grandissante de grignoter. Elle n'avait pas passé tout ce temps à travailler sur son corps pour que tout soit ruiné par le chagrin d'amour d'une inconnue. Une raison de plus pour ne pas tomber amoureuse, tiens. C'était vraiment une perte de temps et d'énergie, surtout si ça pouvait mettre quelqu'un dans cet état.

- On cherche quoi, exactement ?

Elle s'était levée dès qu'Ayame lui avait proposé sa petite expédition pour la suivre jusqu'aux archives, mais elle n'avait pas la moindre idée de ce que sa colocataire espérait y trouver. Il faut dire qu'elle n'avait jamais mis les pieds dans cette partie de l'école, contrairement à Hayley qui, si elle ne se trompait pas, y avait déjà fait un tour. C'était l'occasion ou jamais. Dans l'état où était tout le monde, les surveillants étaient carrément moins vigilants, elles ne risquaient pas de se faire chopper avant de trouver ce qu'elles cherchaient. Quoi que ce puisse être.

Voilà, il suffisait de se concentrer sur ça. Le positif. L'optimisme. Elle faisait tout son possible pour ne pas se dire qu'elles ne trouveraient rien, que ce n'était pas leur rôle de glaner ce genre d'informations, que l'école avait déjà dû tenter, et toutes les autres pensées négatives qui essayaient de s'inviter dans sa tête. Avec ses années d'expérience de la dépression, et tant que les professeurs ne s'amusaient pas à leur balancer de devoirs compliqués ou de contrôles pendant cette période, tout irait bien. Elle pouvait se sentir utile. Elle devait se sentir utile.

Ouais, donc en gros, elles cherchaient n'importe quoi. C'était une réponse comme une autre et, franchement, elle n'avait pas envie de se retrouver encore plus noyée dans la tristesse de cette fille. Elle ne pouvait pas juste garder ses émotions pour elle ? Les imposer aux autres comme ça c'était… urgh. Horrible, dangereux. Et si ça empirait ? Martel n'avait aucune envie de savoir à quoi pouvait ressembler ce pouvoir bizarre s'il continuait de se répandre. Elle avait déjà assez de problèmes avec ses propres soucis émotionnels, merci.

- Ok. Eh bah c'est parti. On trouve tout ce qu'on peut et on résout le problème une bonne fois pour toutes.

Bien, elle était toujours capable d'être optimiste, a priori, c'était plutôt bon signe. Elle n'était pas encore complètement effondrée sous le coup de la magie qui pesait dans l'air. Direction les archives, donc. Il suffisait d'être assez discrètes pour échapper aux surveillants et aux profs, mais d'une, elles avaient l'habitude et de deux, le pouvoir semblait affecter tout le monde, et l'une des conséquences de la déprime était l'inattention. En résumé : elles parvinrent à se faufiler dans la salle sans problème.

- Alors… Pas difficile ça dépend. Tu connais son nom de famille ?

Parce qu'il y avait peu de chances qu'ils les classent par prénom, si ? Peut-être. À vrai dire, elle n'avait jamais mis les pieds dans cette pièce et elle n'y connaissait rien. Dans le pire des cas, elles devraient juste fouiller un peu plus, c'était pas un drame. Elles trouveraient bien quelque chose à force de chercher.

- Euh… quoi ?

Comment ça, un être humanoïde ? Elle se tourna dans la direction que regardait Ayame et plissa les yeux. Non, elle ne voyait rien. Bon, rester calme. Même si les fantômes existaient, c'était probablement des gens comme elles, des personnes transformées par la singularité. C'était la seule et unique magie qui existait dans ce monde, elle en était convaincue. Et puis si Ayame était la seule à le voir, ce n'était peut-être pas un fantôme.

- Tu es sûre que ça va ?

Peut-être que le pouvoir de Diana l'affectait plus qu'elles ne le pensaient et qu'elle avait des hallucinations ? Est-ce que la dépression pouvait provoquer des hallucinations ? Elle n'en avait aucune idée.

Un effet du pouvoir... Hm. Si ça allait jusqu'au stade de provoquer des hallucinations, c'était une bonne chose qu'Ayame ait décidé de prendre les devants pour savoir à quoi s'attendre, finalement. la dernière chose dont Martel avait envie, c'était de voir surgir dans la réalité les cauchemars tordus dont son esprit pouvait l'abreuver. Donc : il fallait se renseigner le plus vite possible. Déterminée à échapper à de possibles visions, elle se remit à fouiller les dossiers.

- Courage. Diana, c'est un nom commun mais Arren pas trop. Il devrait être facile à dénicher.

D'ailleurs, c'était de quelle origine ? Parce que Diana, bon, la moitié des filles de ce pays qui s'appelaient comme ça tenait ça de la princesse - c'était bien une princesse ? - mais Arren...

Elle fit défiler les pochettes en jetant rapidement un oeil à chaque nom mais pour l'instant, aucun signe de l'un ou de l'autre. Elle soupira. Avec leur chance, les deux auraient un nom commençant par une lettre en plein milieu de l'alphabet, ce qui rendrait complètement inutile d'avoir chacune commencé par une extrêmité.

- Non, toujours rien. Et toi ?

Quelle idée de ranger par noms de famille, franchement ?

Pour l'instant, elles n'arrivaient à rien. Pourvu qu'ils n'aient pas tous les deux un nom de famille commençant par un M ou un L. Elle soupira. Elle cimmençait à désespérer quand, enfin, Ayane sembla trouver quelque chose. Martel laissa un dossier dépasser pour ne pas perdre sa progression dans les recherches et s'avança vers sa colocataire pour jeter un oeil à ce qu'elle avait déniché..

C'était... étrange. Et un peu glauque. Servir de pont entre plusieurs dimensions. Brr. Elle était bien contente de n'avoir récupéré qu'une race de lézard. Elle aurait détesté se retrouver avec un truc pareil.

- Si Arren est vraiment devenu un dieu... je sais pas si elle a pu l'éjecter comme ça.

Mais ils n'avaient pas l'air d'avoir beaucoup d'informations, en effet. Il faut dire que la plupart des races créées par l'école avaient le défaut d'être uniques... et donc découvertes à leur apparition. Il n'y avait pas vraiment de mode d'emploi général.

- Je vais continuer de chercher.

Martel retourna donc sur ses dossiers pour essayer de mettre la main sur celui d'Arren. Il devait bien être quelque part. Même si le gars avait disparu, il n'y avait aucune raison que les informations à son sujet en fassent de même.

Un... dieu. Bien sûr, elle avait entendu les rumeurs et elle l'avait annoncé à Ayame dans le plus grand des calmes, mais avant de trouver le dossier, elle n'y croyait qu'à moitié. Sauf que là, il fallait se rendre à l'évidence. La singularité pouvait créer des dieux.

C'était n'importe quoi. Comment une même magie pouvait créer des hybrides lézards et des dieux ? Quel rapport ? Est-ce qu'on pouvait encore considérer qu'il était une forme d'espèce non-humaine ? Est-ce que ça voulait dire que tous les dieux possibles et imaginables des mythologies et des religions étaient réels et étaient passés par ici ? Depuis combien de temps la singularité existait-elle, au juste ?

Bon, ça n'était pas la question la plus pressante, mais se dire que quelqu'un était devenu un DIEU alors qu'elle avait hérité d'une queue de lézard était un peu déprimant. Super pour le complexe d'inferiorité.

- Peut-être que quand quelqu'un devient un dieu... il récupère son propre monde ? Genre "en tant que dieu voilà ton boulot" ? Ou bien il a été expédié dans l'espace pour veiller sur ses planètes et ses étoiles ?

Peut-être que Diana n'avait rien à voir avec la disparition de son petit ami. Ça expliquerait pourquoi elle la vivait aussi mal et pourquoi elle avait infecté toute l'école avec son foutu désespoir. Il ne semblait pas y avoir de culpabilité dans son cocktail d'émotions. Si elle avait été responsable, ça aurait été le truc le plus présent, non ?

- Tu ressens de la culpabilité, toi ? Si ça se trouve, elle n'y est pour rien.

Ce qui ne les avançait pas beaucoup plus. Enfin si. Elles savaient maintenant que Diana pouvait ouvrir des mondes parallèles, le genre de pouvoir qui n'était jamais très rassurant dans les mains d'une personne instable.

- Peut-être qu'elle a ouvert un portail pour essayer de le retrouver...

Et qu'elle y avait trouvé... autre chose. Un boost pour son pouvoir ? Ça expliquerait pourquoi son désespoir atteignait autant de monde.

- Ou alors elle a ouvert un portail, elle ne l'a pas trouvé, et elle a essayé d'augmenter ses pouvoirs. Et maintenant on se bouffe tous sa magie.

Qu'est-ce que ça pouvait être d'autre, de toute façon ? Il n'y avait pas trente-six mille options. Et puis Ayame avait raison. Même avec ces infos, elles ne pouvaient rien faire d'autre que des suppositions qui ne servaient à rien. Martel soupira.

- Ouais... À part juste expliquer ça, franchement, je vois pas ce qu'on pourrait faire de plus.

Tant pis. Au moins, elles auraient découvert que les dieux existaient, et que c'étaient juste des sales gosses qui avaient franchi la mauvaise porte le mauvais jour.

Bon, ni l'une ni l'autre ne ressentait de culpabilité. Conclusion : Diana non plus. Où que soit son petit ami, il y avait donc peu de chance qu'elle soit responsable de sa disparition. Ce qui voulait dire qu'elles étaient revenues à la case départ. Martel soupira. À quoi bon savoir tout ça sur Diana et son copain si elles ne pouvaient rien en faire ? C'était déprimant.
Enfin, à moins que ça ne soit juste encore l'effet du pouvoir de l'autre.

- Ouais... T'as raison, on n'a plus rien à faire ici.

Elle avait pendant quelques instants eu l'espoir qu'elles pourraient faire quelque chose, qu'elles ne seraient pas obligées de rester à attendre que Diana se calme ou que la magistrature fasse son boulot. Mais non. La vraie vie n'était pas comme les films, les civils n'avaient aucun impact sur ce genre de situation. Le mieux qu'elles puissent tirer de tout ça, c'était d'expliquer à tout le monde pourquoi ils avaient envie de pleurer - ou pire - en permanence.

- On y va.

Sans un regard de plus pour la salle des archives de l'école, Martel reposa le dossier qu'elle avait récupéré. Elles n'avaient plus rien à faire ici. Autant, comme disait Ayame, retourner déprimer dans un coin.