Encore une heure, et on pourra aller manger. J’avoue que je n’arrive plus vraiment à faire la différence entre la faim de mon corps « humain », et celle de ma race d’incube. Bon. Si, j’avoue que c’est pas très compliqué de faire la différence. La faim de l’incube est bien plus basse… et bien plus insoutenable. C’est difficile de lui résister. Mais ça va, aujourd’hui je me sens plutôt bien, enfin, c’est moins pire que d’habitude, même si c’est toujours là. Franchement, parfois je me demande jusqu’où je dois aller pour que ça se calme vraiment et me laisse tranquille pendant une journée. On pourrait penser que je suis bien loti en termes de faim, ça pourrait être une envie dévorante de tuer quelqu’un ! Moi, j’ai juste envie d’embrasser, d’enlacer et d’avoir des relations sexuelles. Ça aurait été chiant si j’avais été moche, puisque ça aurait été difficile de trouver des personnes qui acceptent de me satisfaire. Mais je suis plutôt gâté par la nature alors je n’ai pas à me plaindre.
Je marche dans les couloirs en directement de la salle de biologie. Ce n’est pas un cours que j’apprécie en temps normal, sauf quand on parle de corps humain~ Là je deviens bien plus attentif. Je me demande s’il y aura un cours sur l’éducation sexuelle dans l’année. À nos âge, il faut bien qu’ils nous rabâchent les oreilles avec la contraception et les protections ! J’ai hâte. J’entre dans la salle, faisant un joli sourire au professeur avant d’aller dans le fond de la classe pour m’asseoir dans les derniers rangs. Je pose toutes mes affaires par terre avant de récupérer mon cahier, ma trousse et tous mes ustensiles favorable à une bonne prise de notes, et j’attends sagement que tout le monde arrive dans la salle et que le professeur commence son cours. Et pendant ce temps, j’analyse. Les gens. Les odeurs. Les regards en douce. Les sensations dans mon corps. J’ai l’impression que j’échappe des phéromones… Mais j’en suis pas vraiment sûr… J’ai encore du mal à bien comprendre comment ça marche et à bien les ressentir…
Les élèves continuent d’entrer dans la salle de classe, et je les observe tous du coin de l’œil, attentif au moindre signe qui pourrait me dire que j’ai une touche quelque part. Puis une camarade entre, et je l’observe s’avancer dans la pièce. Et je sais où elle est obligée de s’installer. À côté de moi. Puisque toutes les autres place sont prises. Elle s’installe donc et je lui fais un sourire, accoudé à la table, la tête posée dans ma main. Martel Schäfer. Plutôt belle gosse elle aussi, d’ailleurs. Mais je n'ai pas vraiment eu l'occasion de lui parler depuis le début de l'année, c'est le moment je crois~
Les cours avaient repris depuis peu. C'était une année totalement différente qui venait de commencer. Quand Martel était arrivée à S'Indarë, elle était mal dans sa peau, solitaire, recluse dans son coin au point que personne n'avait fait attention à elle ni ne se souvenait vraiment d'elle, à part Nate. Les psys et la nutritionniste de l'école avaient fait des miracles. Elle n'avait pas encore le corps parfait dont elle rêvait, mais elle s'en rapprochait assez pour en être arrivée à apprécier son reflet dans le miroir. Mieux que ça, même : elle se trouvait belle. Et sexy. Les regards qui s'attardaient sur elle avaient changé de nature, et le frisson qu'elle ressentait en lisant de l'admiration et du désir dans les yeux de quelqu'un était au moins aussi efficace que son année de thérapie. C'était grisant, addictif, réparateur. Bien sûr, ça ne compensait pas tout, mais elle avait enfin l'impression de valoir quelque chose.
Elle s'estimait toujours parfaitement nulle en cours, par contre, et elle y allait souvent en traînant les pieds. C'était d'autant plus frustrant qu'elle pouvait aisément imaginer ses frères, à sa place, entrer avec toute la confiance du monde. Martel, elle, était toujours parmi les derniers dans la salle ; l'avantage était qu'elle en profitait pour rencontrer du monde. Elle avait bien l'intention de profiter de son nouveau physique pour découvrir ce qui avait toujours été hors de sa portée.
Elle s'assit à la dernière place libre de la salle en arrivant en biologie. À côté d'Ian. Difficile de ne pas connaître son existence, c'était le gars qui attirait - au moins - la moitié des regards de l'école. Beau, sexy et charmeur, avec une voix qui s'ancrait dans l'âme pour ne jamais vouloir en ressortir. La confiance nouvellement acquise de la jeune fille vacilla un instant quand il s'adressa à elle, mais elle se reprit vite. Elle n'était plus l'adolescente timide du fond de la classe, elle ne pouvait pas se laisser happer par ses vieux réflexes. Ce n'était pas un incroyable privilège qu'il lui ait dit bonjour. Bon, elle s'en servirait quand même pour narguer celle qui bavaient sur lui en permanence.
- Ian Stevens, c'est ça ? Prêt pour une longue heure d'ennui ?
La biologie faisait partie des très nombreuses matières qu'elle n'appréciait pas du tout. Mais peut-être que, pour une fois, elle ne s'y ennuierait pas... On pouvait toujours espérer.
Quelque chose venait à peine de changer dans son énergie quand je l’avais saluée. C’est comme si, ça crépitait. Je ne suis pas encore très familier avec tous ces ressentis, mais ce n’est pas désagréable. J’ai l’impression de savoir quelque chose que je ne devrais pas connaître. C’est comme si sa confiance en elle avait vacillé un court instant pour revenir. Mmh… Est-ce qu’elle aussi est sensible à mon charme ? Ce ne serait pas étonnant~
▬ Ian Stevens, c'est ça ?
Mon sourire s’élargit, lui confirmant que c’est bien moi. Fait-elle semblant de ne pas être sûre de qui je suis ? Tout le monde me connait dans ce lycée, et encore plus dans cette classe. Je suis certain qu’elle fait ça pour ne pas perdre la face devant moi. Je suis conscient que je peux être perturbant, alors je vais être gentil.
▬ Prêt pour une longue heure d'ennui ?
Je repose mes yeux sur le tableau devant nous, sans perdre mon sourire, observant le professeur arriver pour commencer son cours. Une longue heure d’ennui hein… Je n’ai pas vraiment envie de me concentrer sur un type qui déblatère un cours sans vraiment faire gaffe si ses élèves comprendre un simple mot de ce qu’il est en train de dire… Peut-être qu’on pourrait trouver quelque chose pour pimenter tout ça ? Je sais que Martel peut avoir une attitude un peu séductrice elle aussi. Alors… peut-être qu’on pourrait chercher quelque chose dans cette direction ? Si elle pense que je ne l’ai jamais vu, elle se trompe ! Après tout, je ressens tout ce qui se réfère à la séduction, au sexe, et au sentiments. Bon, j’avoue, un peu moins les sentiments… Mais je ne suis juste pas bête. Quand on ressent le désir de deux personnes, on se doute qu’il puisse y avoir des sentiments entre eux, et ce, même si ce n’est jamais mon cas. Mon regard se pose sur le dos de Megan mais rapidement je tourne la tête pour reporter mon attention vers ma voisine de table.
▬ Qui a dit que cette heure serait ennuyeuse ?
Je lui fais un petit clin d’œil. Il faut qu’on trouve un petit moyen sympa de s’amuser… Quelque chose qui nous ressemble… Un challenge peut-être ? Ou alors… on fait un jeu et celui qui perd à un gage ? Ça peut être très intéressant ça.
▬ Je te propose qu’on se trouve un jeu… Et celui qui perd à un gage~. Ou alors… On peut se challenger ?~
Je me penche vers elle, approchant mon visage de son oreille pour murmurer.
▬ J’ai cru comprendre que toi aussi tu t’amusais un peu avec tes admirateurs~
Ce sourire... C'était clairement celui de quelqu'un qui débordait de confiance en lui. Elle aurait aimé avoir le même genre de confiance, mais elle en était encore loin. Elle avait beau être sur la bonne voie pour reconstruire son amour-propre, elle se sentait toujours un peu intruse parmi les gens populaires. Son complexe d'infériorité lui collait toujours à la peau, elle aurait adoré pouvoir sourire avec une telle aisance. Un jour, elle y arriverait. Il lui suffisait de continuer sur cette voie.
- Qui a dit que cette heure serait ennuyeuse ?
Le concept de cours penchait dans cette direction, mais en bonne compagnie l'ennui pouvait très vite disparaître. Son clin d'oeil indiquait clairement que c'était aussi le genre de réflexion qui l'avait poussé à faire ce commentaire et elle sourit. Avec moins d'assurance que lui, peut-être. Cependant, elle avait étudié son sourire pendant de longues heures, elle l'avait travaillé pour qu'il ait aussi son petit effet.
- Je te propose qu’on se trouve un jeu… Et celui qui perd à un gage~. Ou alors… On peut se challenger ?~ - Tu as quelque chose en tête ?
Un jeu ou un défi... C'est sûr que ça rendrait le cours nettement moins ennuyeux, tout de suite, surtout avec un gars pareil. Même son murmure à son oreille avait l'air calculé pour tirer le plus de réactions possibles. Et d'accord, il avait marché - juste un peu - mais elle était quand même plutôt intéressée par son idée de défi. Cela dit elle reviendrait sur le sujet un jour. Quitte à être sexy et à vouloir narguer les groupies, autant aller jusqu'au bout.
- Ça serait dommage de m'en priver.
S'amuser n'était peut-être pas le mot, pas encore du moins. Elle se garda bien de le préciser, cependant. Elle appréciait trop l'ambiance et le sentiment de liberté et d'impunité qui s'en dégageait pour gâcher ça en mentionnant le fait qu'elle n'avait des "admirateurs" que depuis la fin des vacances.
- Tiens, cette fille-là est réputée pour être super difficile.
Elle désigna une fille un peu plus loin dans la salle.
- Si l'un de nous arrive à l'embrasser avant la fin du cours, il gagne.
Et s'ils réussissaient tous les deux, il faudrait trouver autre chose pour les départager. Ça laissait un délai d'un peu moins d'une heure pour réussir un défi, en plein cours en plus ce qui était forcément plus compliqué. Ça pouvait être un point de départ intéressant, non ?
Est-ce que j’ai une idée… ? Sachant qu’elle aussi est du genre à jouer la séduction et qu’elle me fait bien comprendre qu’elle aime ça, ça pourrait aller dans tous les sens. Jouer avec ses admirateurs, et ne pas s’en priver parce que ce serait « dommage » ? Je pense qu’on pourrait vraiment bien s’entendre~ Mon sourire s’élargit et je réfléchis à un jeu que l’on pourrait faire ensemble, sans oublier de prendre en compte que je suis un incube et que j’ai donc des atouts naturels qui penchent en ma faveur. Il faut quelque chose de pas trop difficile pour elle, mais qui me challenge pas mal, histoire que ce soit équitable !
Mais rapidement, elle me sort de mes réflexions quand elle désigne une fille assise, avec le regard rivé sur le tableau. Mmh…
▬ Tiens, cette fille-là est réputée pour être super difficile. Si l'un de nous arrive à l'embrasser avant la fin du cours, il gagne.
Oh ? J’hausse un sourcil, intrigué parce qu’elle propose. C’est presque impossible. Il y a énormément de désavantages ! Pour elle, comme pour moi. Premièrement, c’est le genre de fille un peu frigide et difficile. Deuxièmement, nous sommes en cours, et nous n’avons donc pas vraiment le droit de bouger de nos tables, pour aller discuter avec elle. Troisièmement, l’objectif n’est pas simple en soi ! Si c’était de choper un rencard avec elle, je ne dis pas. Mais là, on parle de l’embrasser ! Ce qui veut forcément dire qu’on doit se déplacer pour le faire. Et tout ça, sans se faire exclure du cours par le prof… Mmh… Mon sourire s’élargit alors que je tourne la tête vers la lézarde pour lui chuchoter.
▬ Presque impossible ton challenge. Mais je relève le défi~
Je me redresse, réfléchissant alors à quelle stratégie je pourrais adopter. Une fille frigide donc… Souvent, ce genre de fille le sont, soit parce qu’elles veulent se concentrer sur leurs études, soient parce qu’elles ont été déçues à de nombreuses reprises par des personnes qui leur plaisaient. Et c’est très souvent pour une question d’ego qu’elles se referment comme des huîtres. Il faut que j’essaye de déterminé quel est son style de mec… Ça aurait été plus simple de visiter un de ses rêves… mais elle ne dort pas, et n’est visiblement pas prête de le faire. Bon… Déjà. Il faut que j’attire son attention.
Alors rapidement, j’arrache un bout de papier de mon cahier pour y écrire un petit mot. Autant faire à l’ancienne pour commencer ! On évite le rentre-dedans un peu trop frontal avec ce genre de fille… mais il faut quand même se faire comprendre… C’est une subtilité assez difficile à avoir. Alors après avoir écrit :
« Salut, j’espère que je te dérange pas… C’était juste pour te dire que je t’ai remarquée quand je suis entré dans la salle, et je te trouve vraiment très jolie ! Voilà c’était juste pour te dire ça ! :) Ian »
Je plie le papier, puis discrètement, je l’imbibe légèrement de mes phéromones, histoire de mettre le plus de chances de mon côté et qu’elle ne refuse pas mon messages catégoriquement. Puis, je tapote sur l’épaule de mon voisin de devant pour qu’il se retrouve et lui confie le papier en lui murmurant.
▬ Tu peux faire passer jusqu’à la brune au bout de la troisième rangée s’il te plait ?
Il hoche la tête et s’exécute. C’est parti ! Plus qu’à attendre qu’elle tourne la tête vers moi avec, soit un air intrigué, soit un regard de dédain~. Personnellement, je préfèrerais le premier !
C'était un jeu dangereux. Elle partait avec une montagne de désavantages. Déjà, c'était une fille, il y avait statistiquement plus de chances qu'elle soit attirée par Ian que par Martel, à moins d'un gros coup de bol. Ensuite, il avait plus d'expérience qu'elle dans ce domaine et il savait clairement y faire. Et enfin... et bien rien qu'à l'aura qu'il dégageait, il avait sûrement quelque chose en plus. Les rumeurs disaient que c'était un incube, il y avait sûrement du vrai là-dedans. Mais peu importe, elle avait envie d'un défi compliqué. Surtout que le but n'était pas de l'embrasser avant lui, c'était de l'embrasser tout court. Donc, plus faisable.
Enfin, à condition de trouver comment faire. C'était un décor compliqué pour draguer. Ils n'étaient pas du même côté de la pièce, ils ne pouvaient pas bouger facilement sans risquer de se faire choper par le prof – quoi que ça ne faisait pas partie des conditions, techniquement. En fait, elle n'avait même pas précisé de quelle manière l'embrasser. Bon évidemment, vu la façon dont elle avait formulé sa phrase, lui voler un baiser, même sur la joue, n'entrait pas dans les possibilités. Le but était de la dérider, pas de la forcer.
Pendant qu'elle réfléchissait, Ian avait déjà commencé à poser ses pions, avec un petit mot papier transféré à partir de leur voisin de table. C'était une façon comme une autre d'attirer son attention, mais elle avait ses propres méthodes. Méthodes qu'elle devait encore tester, d'accord, cela dit elles avaient des chances de fonctionner. Chacun son pouvoir. Si Ian était vraiment un incube et qu'il s'en servait pour attirer les gens, elle, elle avait un moyen imparable de se retrouver seule avec cette fille et de pouvoir lui parler librement. Restait à savoir si elle l'utilisait maintenant ou si elle tentait la manière douce avant. Hm. Il avait commencé doucement par un message, elle pouvait commencer doucement aussi.
Elle releva les yeux vers la fille, qui avait déplié le papier et commençait à lire, les sourcils froncés comme si elle se demandait par quel mystère quelqu'un avait pu décider qu'elle était digne de ce genre de compliments. Sauf que la fille leva vers Ian un regard un peu trop intéressé à son goût. Il prenait un peu trop vite sa longueur d'avance.
Sans lâcher la fille des yeux, Martel prit son propre cahier de cours et fit glisser la tranche d'une feuille contre la pulpe de son pouce, créant une plaie fine mais rapidement sanglante qui se reproduisit à l'identique sur la main de leur cible.
- Aïe !
Martel referma discrètement la main le temps que sa propre coupure guérisse, tandis que plusieurs regards se tournaient vers le cri qu'ils venaient d'entendre. Le professeur lui-même interrompit un instant sa leçon.
- Tout va bien ? - Oui, je... je me suis coupée avec une feuille, je crois.
Petit instant de silence. Voyant qu'elle ne semblait pas vraiment blessée – et que, dans la classe, personne n'avait l'air de vouloir la vider de son sang à la vision d'une simple goutte – il reprit son cours où il l'avait arrêté, continuant d'ennuyer la classe à mourir. Martel esquissa un sourire en coin.
- Blesser ta cible à ta première tentative de contact, c'est dommage, quand même.
C'était une petite coupure, rien de grave, mais ça avait suffi à détourner l'attention de la fille. Sauf qu'il fallait toujours qu'elle trouve, elle, un moyen de lui adresser la parole avant que le message d'Ian se fasse une place dans sa tête et qu'elle se rappelle son existence. Le plus simple – et le plus à sa portée – était sûrement de faire en sorte qu'elle se blesse assez pour avoir besoin d'aller à l'infirmerie et pouvoir l'accompagner pour se retrouver seule avec elle. Comment faire d'une pierre deux coups : l'éloigner de son rival, et l'avoir à portée pour son petit défi.